L’espace du couple en confinement

Extrait du « Petit guide du confinement réussi en couple » qui vient de paraître aux InterEditions et téléchargeable gratuitement ci-dessous

Le premier aspect de la relation de couple qui est fortement impacté par le virus et le confinement, c’est bien sûr l’espace. Nous sommes avant tout confinés quelque part, dans un lieu précis, qui va délimiter notre espace vital pendant plusieurs semaines. 

C’est bien pour cela que ceux qui en avaient la possibilité ont choisi leur lieu de confinement dès qu’ils ont appris la nouvelle. Ce n’est un mystère pour personne qu’il est beaucoup plus agréable de vivre confiné dans une grande et belle maison de bord de mer que dans un petit studio en ville.

Car la première difficulté à laquelle nous nous heurtons en vivant ensemble, c’est bien le manque d’espace. L’espace qui nous est nécessaire pour nous sentir à l’aise est une notion très locale : on ne le perçoit pas du tout de la même façon à Hong-Kong, en France ou en Mongolie, d’une part car la densité de la population y est très différente, d’autre part à cause des différences de tradition, de culture, de religion ou de milieu socio-culturel. Dès que l’on restreint durablement l’« espace vital », on crée un inconfort parfois très important, qui provoque des sensations de suffocation, comme si l’on manquait d’air. Les difficultés respiratoires sont justement un des symptômes marquants du Covid-19, qui, dans les cas les plus graves, entraîne le décès par étouffement.

Partager les sous-espaces

Mais l’espace dans le couple, ce n’est pas seulement l’appartement ou la maison où nous vivons. Ce sont aussi et surtout tous les sous-espaces de notre lieu de résidence, dont la géographie est parfois mouvante et parfois, au contraire, extrêmement rigide. Ces sous-espaces ont ceci de particulier qu’ils sont liés à notre personne. Prenons, par exemple, le bureau qui occupe la pièce de séjour. Est-ce « le » bureau, « ton » bureau ou « mon » bureau ? Bien souvent, la réponse dépend de la personne à qui l’on pose la question. Ou du moment de la journée. Ou encore de ce que je suis en train d’y faire : est-ce que j’y travaille, j’y joue, j’y écoute de la musique ?

Ces sous-espaces sont très nombreux, et la perception que nous en avons repose en partie sur nos horaires d’usage, qui ont été bouleversés par le confinement. Imaginons par exemple un couple dans lequel un des partenaires travaille à la maison tandis que l’autre se rend au bureau tous les matins. Le confinement ne change pas grand-chose à la vie professionnelle de celui qui télétravaille, mais il bouleverse celle de celui qui va au bureau. Lorsqu’ils doivent tous deux poursuivre leur activité à domicile, celui qui télétravaille trouvera tout à fait normal de continuer à occuper le bureau et l’ordinateur familiaux, et celui qui se rend habituellement à l’extérieur sera décontenancé de ne pas pouvoir y accéder à ses horaires et selon ses besoins.

Si ces deux-là vivent dans un studio ou un deux-pièces, ils seront confrontés à un sérieux problème d’espace. Car s’ils sont habitués depuis longtemps à partager la salle de bains, c’est sans doute la première fois qu’ils doivent se poser la question de partager leur espace de travail, un espace qui relève finalement de l’intime.

Et il n’y a pas que le bureau ou l’ordinateur ! C’est plus ou moins la même chose avec le canapé, la télévision, la table de cuisine, le séjour, voire la chambre à coucher. Nous oublions souvent que nous sommes des animaux et que, tout comme eux, nous transportons notre territoire avec nous. J’avais été frappé par l’histoire de cette jeune femme un peu aventurière, qui avait décidé de s’installer dans la forêt canadienne. Elle était très heureuse de sa solitude et d’affronter les aléas de la vie au grand air. Mais elle ne savait pas comment faire pour dissuader les ours de venir fouiller dans ses poubelles la nuit, et elle avait un peu peur d’en retrouver un dans son salon. Un jour, elle eut une illumination et elle délimita de son urine un grand espace autour de sa cabane. Elle ne reçut plus jamais de visite animale importune. Elle avait « marqué son territoire » d’une façon immédiatement compréhensible par les ours de la forêt (et aussi les autres animaux).

Du territoire à la lutte de pouvoir

Je n’ai évidemment pas l’intention de vous conseiller de faire pipi un peu partout dans votre appartement ! Je veux seulement illustrer le fait qu’un territoire n’en est un que s’il est reconnu par tous ceux qui sont concernés. Autrement dit, il se discute et se négocie. Rappelez-vous vos premiers temps ensemble : ne vous êtes-vous pas interrogés sur la place préférée de chacun dans le lit ? Eh bien, c’est pareil : vous ne pouvez pas présupposer que votre partenaire aura la même vision que vous au su-jet de l’usage de la télévision ou du bureau pendant la journée. Ce sera l’occasion de dialoguer à ce sujet, même et surtout si vous en faites usage habituellement d’une façon différenciée : s’il n’y a qu’une seule table de travail, elle « n’appartient » pas plus au télétravailleur qu’à celui qui se rend au bureau. Le con-finement vous invite à tout remettre à plat.

Le problème de la notion de territoire, c’est qu’elle alimente la lutte de pouvoir dans le couple. La lutte de pouvoir, c’est la phase classique que vivent tous les couples, sans exception, après leur période romantique. Elle débute souvent au moment de l’installation, du mariage ou de la naissance du premier enfant. Qu’elle se déroule à fleurets mouchetés ou à coup de bruyantes disputes, elle constitue le quotidien de tous les couples qui n’entament pas une démarche consciente de consolidation de leur relation. Comment la reconnaître ? C’est facile : à chaque fois que l’un de vous tente de convaincre l’autre de quelque chose, si vous cherchez tous les deux à « avoir raison » , quel que soit le sujet, vous êtes dans la lutte de pouvoir. Qui fait mieux (au choix : la cuisine, la lessive, la déclaration d’impôts, le bricolage, les courses…) que l’autre ? Qui sait mieux (au choix : danser, parler anglais, entrer en relation avec des inconnus, comprendre les enjeux politiques…) que l’autre ? Ou, variante sur le même thème, la mère ou le père de qui est le ou la meilleure pour apprendre le vélo aux enfants, repasser, enseigner la lecture, etc. ?

Cela m’évoque ce jeune couple qui avait décidé d’offrir à leur groupe d’amis une belle galette des rois. L’homme voulait aller en acheter plusieurs au supermarché ; sa compagne trouvait cela inconvenant, et n’imaginait pas possible de se la procurer ailleurs qu’à la boulangerie. Le débat faisait rage entre eux deux, qui défendaient chacun à qui mieux-mieux soit l’économie réalisée soit la qualité artisanale. Ils en étaient presque à se lancer des noms d’oiseaux quand un de leurs amis leur fit remarquer qu’en fait ils se disputaient pour savoir qui avait raison de ses parents à lui ou de ses parents à elle…

Vos différences sont vos atouts

Autre dimension classique de la lutte de pouvoir, la conquête de l’espace… sonore. L’un des deux met le son du match de rugby à fond pendant que l’autre lit, vous êtes tous les deux en téléconférence en même temps, le robot de la cuisine fait un bruit strident difficilement compatible avec la concentration nécessaire à la tenue des comptes de la semaine, elle révise sa présentation Powerpoint du lendemain pendant qu’il écoute un podcast dans la salle de bains… Ce ne sont ni plus ni moins que des invasions de l’espace de notre partenaire de vie, qui peuvent en plus être très facilement évitées puisqu’il suffit de se procurer un ou deux casques et de s’habituer à les porter pour régler le problème. Si on ne le fait pas, c’est bien qu’on obéit à un désir inconscient consistant à gêner l’autre pour lui dire « j’existe ».

La lutte de pouvoir envahit tous les domaines de la vie de couple parce qu’elle est l’occasion pour chacun des partenaires de se distinguer de l’autre et d’exister en tant qu’individu séparé face à lui sans disparaître dans la relation. Alors, tout est bon pour se faire valoir, se faire reconnaître comme différent et, malheureusement, comme « mieux », « meilleur », plus ceci ou plus cela. Toutes ces supériorités supposées ont comme dé-faut majeur d’impliquer l’infériorité supposée de l’autre. Lequel a comme seule issue de se faire reconnaître d’autres éléments de supériorité. C’est comme si chacun disait à l’autre : « Je suis celui que tu dois être ».

Les partenaires d’un couple en pleine lutte de pouvoir ont oublié la raison principale pour laquelle ils se sont installés en-semble : ils sont différents. Ce qui vous a séduit chez votre compagne ou votre compagnon, c’était précisément qu’il ou elle était différent de vous. Vous êtes sportif, elle préfère mitonner de bons petits plats ; vous adorez danser, il aime pratiquer les langues étrangères ; vous êtes super-efficace pour remplir la déclaration de revenus, il déteste ça mais il est capable de vous offrir un magnifique voyage au bout du monde sur un coup de tête ; vous êtes bordélique mais capable d’improviser à la minute une activité hyper-dynamique pour toute la famille, il est structuré et calme, etc., etc. Chacune de vos qualités s’imbrique parfaitement avec chacune des siennes, d’une façon totalement complémentaire, et ensemble vous cumulez tous les aspects positifs imaginables : vous êtes à la fois paisibles et dynamiques, imaginatifs et planificateurs, sportifs et bon vivants…

La curiosité, antidote à la lutte de pouvoir

L’erreur, c’est de vouloir convaincre l’autre de devenir comme vous, de lui dire : « nous sommes pareils. Et c’est moi le modèle. » Autrement dit, ne cherchez pas à changer votre partenaire ! Si vous le vouliez différent, pourquoi l’avoir choisi(e) ? Évitez d’en arriver, comme tant d’autres, à reprocher à votre conjoint ce qui vous attirait chez lui lorsque vous l’avez rencontré. Au contraire, faire preuve de curiosité à son égard peut vous amener à apprendre beaucoup à votre propre sujet, et à découvrir tous deux de nombreux aspects ignorés ou négligés de vous-mêmes. Cela vous évitera de vous séparer pour les raisons pour lesquelles vous vous êtes installés ensemble…

La seule façon de quitter la lutte de pouvoir, c’est de dialoguer en faisant preuve de curiosité pour ce que pense votre partenaire. Il ne s’agit pas de tenter de le convaincre de quoi que ce soit, ni de l’écouter en cherchant les meilleurs arguments pour lui répondre, ni d’attendre avec impatience qu’il ait fini. Non, il s’agit d’écouter vraiment, avec sincérité et curiosité, dans l’intention de découvrir ce qu’il ressent et pourquoi, sans le juger ni s’efforcer d’être d’accord avec lui. Nous vous présenterons plus loin dans cet ouvrage la pratique du dialogue intentionnel, qui est conçue spécifiquement pour cela.

La distance dans le couple

En outre, le coronavirus porte en lui la menace, bien réelle lorsque l’un des partenaires est malade, de créer une distanciation au sein du couple en contraignant l’un des deux à porter un masque et des gants. De nombreux couples sont aujourd’hui physiquement séparés par le confinement, qu’ils habitent ou non ensemble en temps normal. La seule éventualité de la maladie en amène d’autres, qui vivent ensemble, à faire chambre à part, à respecter une distance d’un à deux mètres en permanence entre leur corps, à ne plus se prendre dans les bras, se toucher, s’embrasser ni faire l’amour. Associée à l’intensification de la lutte de pouvoir due au confinement, cette façon de cohabiter porte en elle la mort du couple. Le virus at-taque la relation. De ce point de vue, la vraie maladie, c’est la distanciation des gens qui s’aiment.
Il est extrêmement difficile de maintenir son couple en bonne santé sans se toucher, pour une raison simple : le tou-cher est un besoin vital, que les humains partagent avec les animaux. Si on ne le touche pas, un bébé meurt, même s’il est au chaud et suffisamment nourri pour assurer ses autres be-soins vitaux. Bien sûr, le toucher est en partie culturel : par exemple, on ne se touche pas autant dans les régions du Nord que dans celles du Sud, et on se touche beaucoup plus en Europe qu’en Inde. Mais, au-delà des différences historiques, sociétales, géographiques, religieuses et générationnelles, le tou-cher est un besoin fondamental du corps humain, et c’est justement au sein du couple qu’il est censé pouvoir être assouvi en toutes circonstances. C’est bien pour ça qu’on se réconcilie parfois sur l’oreiller.

Supprimer ou restreindre les gestes d’amour quotidiens au sein des couples et des familles crée un immense manque affectif qui ne peut être comblé par des raisonnements hygiéniques et médicaux, fussent-ils parfaitement fondés et vérifiés sur le plan scientifique. Les psychologues le savent bien d’ailleurs, qui reçoivent sans cesse des appels à l’aide sur ce sujet précis depuis le début de l’épidémie. Lorsque nous n’avons plus droit aux contacts sociaux, le couple constitue notre seul refuge contre l’angoisse, et les câlins sont notre meilleur calmant, et le plus naturel. Ce n’est pas un hasard si les méthodes de psychologie corporelle basées, entre autres techniques, sur le massage , se sont développées dans le monde occidental ces cinquante dernières années, alors qu’elles n’ont trouvé pour ainsi dire aucun écho dans les contrées du Sud, où le toucher est beaucoup plus répandu et accepté.

Ce manque est d’autant plus criant que le virus risque de nous envoyer à l’hôpital puis en réanimation et, dans le pire des cas, au cimetière sans avoir pu dire au revoir à nos proches. Même si nous tentons tous de ne pas trop penser à cette menace, elle est présente dans notre vie et celle de notre entourage, et elle contribue à accroître le niveau d’anxiété individuel et collectif. La façon la plus simple, la plus ancienne et la plus répandue de lutter contre cette ambiance anxiogène, c’est encore une fois de multiplier les occasions de toucher, d’embrassades, de câlins, et plus si affinités. S’en empêcher, se l’interdire, décuple le niveau d’angoisse et crée un véritable traumatisme corporel qu’il sera difficile de guérir dans l’avenir.

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