La peur dans le couple

Extrait du « Petit guide du confinement réussi en couple » qui vient de paraître aux InterEditions et téléchargeable gratuitement ci-dessous

LA PANDEMIE MONDIALE de Covid-19 déclenche chez chacun de nous de nombreuses manifestations de peurs, aux multiples aspects. Des peurs sans cesse entretenues par les médias, qui consacrent au coronavirus plus de 80 % de leur temps d’information. Et des peurs que le confinement accroît encore, puisque nous disposons de beaucoup plus de temps que d’habitude pour y penser, et que nos stratégies habituelles pour nous distraire, comme regarder la télévision ou aller sur Internet, nous ramènent au même sujet : impossible d’y échapper.

 

Nous sommes soumis à de multiples peurs

Il y a, bien sûr, la peur d’attraper la maladie, potentiellement mortelle, et qu’aucun traitement ou vaccin ne guérit aujourd’hui. Cette peur-là est renforcée par le fait qu’on ne connaît pas avec certitude la durée d’incubation, les modes de contagion et le degré d’immunisation des personnes guéries. Autrement dit, nous sommes tous dans l’incertitude au sujet de la façon de nous protéger, nous et nos proches, avant, pendant et après la maladie. Nous sommes donc impuissants, à la merci de ce minuscule virus invisible qui circule à toute vitesse, qui infecte potentiellement tout le monde, et qui est si dangereux pour ceux, nombreux parmi nous, qui souffrent déjà d’une fragilité de santé.

La peur de la maladie se prolonge de la peur de souffrir et de mourir sans être accompagné par ceux que nous aimons, qui ne pourront même pas nous rendre hommage par des funérailles solennelles. En ce moment, être emmené à l’hôpital en urgence signifie la fin de tout contact avec notre conjoint, nos parents ou nos enfants jusqu’à notre retour à la maison… si nous revenons (et si l’un de nos proches n’a pas lui-même été hospitalisé entre-temps). Il s’agit à la fois de la peur d’être privé de toute capacité d’action, puisque nous sommes soumis aux décisions prises par le corps médical sans avoir voix au chapitre, et de la peur de ne pas pouvoir dire « au revoir » aux nôtres.

Mais la peur de la maladie n’est pas exclusivement tournée vers nous-même. Nous sommes aussi soumis à la peur de la transmettre aux autres, et d’être responsable de leur maladie, voire de leur mort. Quelle mère n’éprouve aucune crainte pour ses enfants ? Quel mari pour sa femme ? Une chose est de se voir enlevé un proche par un virus mal connu, une autre de se sentir responsable de l’avoir contaminé. C’est la peur de la culpabilité qui vient se mêler à la peur de la séparation.
La mondialisation et l’histoire potentialisent nos peurs

Aux peurs spécifiquement liées au virus en tant que tel s’ajoutent celles qui se rapportent à la subsistance et à l’économie. Là encore, nous sommes l’objet d’un déferlement d’informations toutes plus déprimantes les unes que les autres au sujet de la récession, une crise économique mondiale fréquemment comparée à celle de 1929 et dont on ne cesse de nous dire qu’elle durera plusieurs années. Ces informations nous sont transmises à un moment où nombreux sont ceux qui sont dans l’impossibilité de travailler du fait du confinement, et qui sont donc impuissants à affronter la situation et à lutter pour leur gagne-pain. Voilà la peur de l’insécurité renforcée par celle de l’effondrement, et aggravée par celle de ne pas être en mesure de subvenir aux besoins de son foyer.

Toutes ces peurs sont potentialisées par le caractère mondial de l’épidémie, qui nous empêche d’imaginer l’existence d’un refuge où nous pourrions nous sentir en sécurité et nous cacher loin de tout ça, et qui crée une sorte d’accablement intérieur, d’attente de la catastrophe, source d’une forme d’anesthésie. Sur le plan intellectuel, nous sommes aussi confrontés au fait que l’étendue du problème est tellement immense que nous ne savons pas par quel bout essayer de le comprendre en vue de contribuer à sa résolution, ce qui renforce l’accablement et la sensation d’être pris au piège d’une situation qui nous dépasse. Évidemment, ce type d’attitude fataliste est antinomique avec le dynamisme dont nous aurions besoin.

Un autre facteur potentialise ces peurs, et c’est la mémoire des catastrophes vécues par nos ancêtres, et auxquelles nous avions toutes les raisons de penser que nous échapperions dans notre monde moderne. La crise de 1929 et son cortège de photos en noir et blanc de files d’attente devant les guichets de l’aide sociale est dans tous les esprits. Mais il y a aussi les références à la grippe espagnole et, plus loin encore, aux grandes épidémies de peste qui ont ravagé l’Europe au Moyen-Âge et ensuite.

Le couple face aux peurs

Vous l’aurez compris, toutes ces peurs s’entremêlent et s’aggravent les unes les autres. Mais, dans votre couple, vous n’êtes sans doute pas sensibles exactement aux mêmes peurs. L’un de vous peut craindre pour son travail et ses revenus futurs, tandis que l’autre a surtout peur de tomber malade. Ou bien l’un des deux est terrorisé à l’idée de transmettre le virus à l’un de ses proches tandis que son partenaire s’inquiète d’être séparé des siens s’il tombe malade. Et il est aussi tout à fait possible d’avoir encore peur d’autre chose, car j’ai volontairement limité mon propos aux craintes principales, afin que ce livre ne devienne pas, lui aussi, anxiogène à la lecture.

Tous les couples réunissent des personnes dont les caractéristiques s’emboîtent parfaitement : chaque qualité que l’un ex-prime « en relief » s’imbrique dans la qualité « en creux » correspondante de son partenaire. Par exemple, l’un de vous est sociable et entre facilement en relation avec les autres ; l’autre a plutôt tendance à se renfermer dans sa coquille et à observer tout ça d’un peu loin. L’un des deux a mille projets en tête, il est entreprenant et n’hésite ni à se lancer dans une activité nouvelle ni à en changer si cela ne fonctionne pas ou ne lui plaît plus ; l’autre aurait plutôt tendance à faire quelque chose à fond, très bien, sur le long cours. Etc. C’est pourquoi, ensemble, vous réunissez toutes les qualités du monde. Cette observation très ancienne a donné l’expression « trouver sa moitié », qui est une façon simple de dire que nous sommes le complément parfait de notre conjoint.

Minimiseurs et maximiseurs

D’ailleurs, si vous vous observez avec bienveillance et curiosité, vous verrez que l’un de vous a plutôt tendance à s’exprimer fortement, à montrer son dynamisme, à avoir des colères ou des joies bruyantes, tandis que l’autre est plus effacé, plus tranquille mais aussi plus stable, plus rassurant, d’humeur plus égale. En cas de dispute, par exemple, il y en a un qui va aller bouder dans son coin sans rien dire, tandis que l’autre fera tout pour maintenir le dialogue, allant chercher le premier dans son recoin. Cela ne se passe pas comme ça chez vous ? Presque tous les couples réunissent un « minimiseur » et un « maximiseur » (quelques couples unissent deux minimiseurs ou deux maximiseurs, mais c’est rare). Bien sûr, la réalité est toujours plus complexe que celle décrite dans les livres, et il arrive souvent que la même personne soit maximiseuse dans un domaine et minimiseuse dans l’autre. Ce qui est extraordinaire, c’est que son conjoint est minimiseur là où elle est maximiseuse, et inversement !

La complémentarité de votre couple concerne tous les domaines, et elle touche aussi la façon dont vous ressentez vos peurs. Votre caractère plutôt minimiseur ou maximiseur vous amène à les exprimer différemment. Mais attention ! Celui ou celle qui minimise l’expression de sa peur ne la ressent pas moins intensément que son conjoint, qui la maximise. En outre, dans la plupart des couples, et surtout en période de confinement, chacun tente plus ou moins d’éviter à son aimé(e) les manifestations de ses propres inquiétudes, afin de ne pas augmenter le niveau global d’anxiété, déjà assez élevé comme ça.
Cette non-communication, qui part d’un bon sentiment, est en partie responsable de notre ignorance de la nature des peurs qui agitent notre conjoint et de leur degré d’intensité. Elle peut même nous amener par inadvertance à les multiplier ou à les accentuer. Par exemple, celui des deux qui a besoin de s’informer pour se calmer en ayant l’illusion de comprendre ce qu’il se passe risque fort d’augmenter les angoisses de son conjoint, qui préfère ne pas trop en savoir pour ne pas se sentir noyé par l’anxiété.

Les trois cerveaux

Dans tous les cas, nous ne sommes pas complètement en mesure de maîtriser notre réponse à nos peurs. En effet, nous sommes le jouet de comportements et d’émotions réflexes qui sont déclenchés par la partie primaire de notre cerveau : le cerveau reptilien et le cerveau limbique. Le cerveau reptilien est la plus ancienne structure cervicale, que nous partageons avec les reptiles. Il fonctionne à une vitesse exceptionnellement élevée, mais il ne traite que les situations de menace contre notre intégrité et il ne contrôle que quatre comportements : le figement, l’attaque, la fuite et la soumission. Ces comportements, qu’il déclenche à la vitesse de l’éclair en réponse à ce qu’il interprète comme une menace (et qui n’en est peut-être pas une), ne sont pas contrôlables dans un premier temps par notre néocortex, le cerveau le plus évolué. Le cerveau limbique, que nous partageons avec les mammifères, déclenche les manifestations émotionnelles dans notre corps : c’est lui qui nous fait pleurer ou rire, en partie en réponse à ce qu’il perçoit de l’environnement (c’est ce qui fait que nous sommes portés à rire au cirque et à pleurer au cimetière). Il gère cinq émotions fondamentales : la joie, la colère, la tristesse, le dégoût et la honte.

Le cerveau proprement humain, le néocortex, est celui qui nous permet de raisonner et de relativiser les situations ; malheureusement, il fonctionne beaucoup plus lentement que les deux autres structures et ne peut pas toujours empêcher les réactions qu’elles ont déclenchées. Vous comprenez maintenant un peu mieux comment vous pouvez parfois regretter d’avoir eu un geste d’humeur ou un mot malheureux en réponse à quelque chose que vous aviez d’abord pris pour une agression, mais qui n’en n’était pas une.

Or, la peur constitue une menace pour notre intégrité. Elle active donc le cerveau reptilien, qui déclenche des comportements réflexes inappropriés, puisque la menace est diffuse et que vous ne pouvez pas faire grand-chose pour y échapper. Certains de ces comportements inappropriés ont de fortes chances d’être tournés en direction de votre partenaire, qui a la malchance d’être présent, et dont le cerveau reptilien va se trouver sur-sollicité (lui aussi a peur de la situation), et déclencher en réponse d’autres comportements réflexes inappropriés en direction de vous. Belle spirale d’agressivité, qui ne mène nulle part. La seule façon d’échapper à ce mécanisme créateur d’insécurité dans votre couple, c’est de faire en sorte de diminuer l’intensité des peurs que vous éprouvez. Heureusement, les solutions sont nombreuses, comme nous le verrons un peu plus bas.

Nous mémorisons les agressions

Lorsque le cerveau reptilien a détecté une menace et y a réagi, la situation menaçante s’enregistre en nous, avec toutes les sensations que nous éprouvions alors à l’aide de nos cinq sens : nous mémorisons sans le savoir ce que nous avons vu, senti, touché, goûté et entendu au moment où nous avons été agressés. À l’avenir, si quelque chose de notre environnement évoque, même d’assez loin, ce que nous avions perçu lors de l’agression, le cerveau reptilien se déclenchera à nouveau, et il activera par défaut la tactique de défense qu’il avait adoptée à l’époque, s’il l’avait jugée efficace sur le moment. Cela signifie que nous sommes très souvent mis en situation de réponse à une agression qui n’existe pas, et que nous n’en sommes pas conscients. C’est pour cela que nous sommes bien souvent trop réactifs par rapport à la réalité objective. C’est l’histoire du petit enfant mordu par un chien, et qui continuera adulte d’avoir peur des chiens sa vie durant, alors qu’il est tout à fait en mesure d’éviter que cela se reproduise.

Cette mémoire des agressions est bien évidemment réactivée par la situation que nous vivons depuis la pandémie, et elle est en quelque sorte aggravée par le confinement, synonyme pour notre cerveau reptilien d’impossibilité de fuir. Il ne lui reste donc de disponibles comme réactions potentielles que le figement, la soumission ou l’attaque. En fonction de notre histoire, nous avons tendance à emprunter plutôt telle ou telle réaction : si dans le passé l’attaque s’est révélée efficace, il est très probable que nous y recourions à nouveau en ce moment, et que nous la tournions vers notre conjoint, puisqu’il est là.

Mais notre comportement n’est pas uniquement le fruit de réflexes primaires, et nous pouvons décider de nous affranchir de ces conditionnements animaux. Une première étape dans cette direction consiste à prendre conscience de ce que notre couple constitue en soi un refuge et une protection contre les peurs qui nous assaillent. Cela revient à passer d’une perspective individuelle (je suis seul contre tous et je fais comme je peux pour résister aux agressions extérieures) à une perspective relationnelle (nous sommes ensemble et nous pouvons nous appuyer l’un sur l’autre pour faire face aux agressions extérieures).

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